Qu’est-ce que la photographie fine art ? Entre identité artistique et quête de sens
Il y a des rencontres qui changent une trajectoire. La mienne, avec la photographe américaine Brooke Shaden, en fait partie. Ce fut ma seule masterclass, mais elle a amené son pesant de réflexion, au dela de la rencontre avec des artistes émergents de par le monde.
Dés la première session, elle posa une question que je n’oublierai jamais : “Êtes-vous un photographe, ou êtes-vous un artiste ?”
Puis elle insista : “Quel message portez-vous à travers vos images ? Qu’allez-vous laisser derrière vous ?”
Cette interpellation m’a profondément marqué. Je pensais savoir pourquoi je faisais des images. Pourtant, en entendant ces mots, j’ai compris qu’il y avait une différence entre capturer une photo et créer une œuvre. Cette nuance, fragile mais essentielle, allait me guider dans ma propre pratique.
Photographe ou artiste : une distinction nécessaire ?
Un photographe, au sens classique, capte ce qui est devant lui. Il saisit la lumière, la forme, la composition. Il la construit parfois, aussi. L’artiste, lui, ne se contente pas de capturer : il interprète, transforme, transcende. Là où l’un reproduit un réel, l’autre cherche à exprimer une vérité intérieure.
Bien sûr, la frontière n’est pas nette. Beaucoup d’entre nous commencent par “faire de la photo” et découvrent ensuite qu’ils cherchent, en réalité, à dire quelque chose de plus grand. C’est ainsi que je me suis vu basculer : mes portraits n’étaient pas seulement des visages, mais des histoires vivantes, des fragments de résilience, de douleur ou de lumière. Mon empathie, ma sensibilité les captaient ,capturaient et je me devais de les partager, les rendre en images, rendre tangible ce que je ne pouvais exprimer avec des mots.
Qu’est-ce que la photographie fine art ?
Alors, comment définir ce que l’on appelle photographie fine art ?
Le terme, issu de l’anglais fine art photography, se traduit par photographie d’art. Contrairement à la photo documentaire, journalistique ou commerciale, elle n’a pas pour but premier d’informer, de vendre ou de séduire. Son objectif est plus profond : exprimer une vision personnelle, une émotion, une recherche de sens.
La photographie fine art ne se limite pas à un style particulier. Elle peut être figurative ou abstraite, en noir et blanc ou en couleurs, numérique ou réalisée avec des procédés anciens. Ce qui la définit, ce n’est pas sa technique, mais son intention. On en revient au : pourquoi faites vous de la photographie, ou de la peinture, ou pourquoi encore plonger ses mains dans des bains de produits bizarres pour imprimer ses images numériques avec les méthodes d’antan.
Un photographe fine art ne montre pas seulement le monde tel qu’il est : il propose une interprétation, un récit subjectif, une approche, un fragment de lui-même inscrit dans l’image.
Portrait ou fine art : où se situe la frontière ?
Le portrait est sans doute l’un des genres les plus répandus en photographie, avec le paysage (et les selfies ou photos de vacances depuis l’invention du smartphone :D ) . Mais tous les portraits ne sont pas des œuvres d’art, et bizarrement certains selfies, eux, le sont.
Une photo de mode, une image publicitaire : tout cela relève de la photographie, mais rarement du fine art. Ces images remplissent une fonction — représenter, séduire, vendre — mais elles ne cherchent pas nécessairement à interroger, émouvoir ou bouleverser.
Un portrait devient fine art lorsqu’il dépasse la personne photographiée pour toucher à l’universel. Lorsqu’il ne se contente plus de représenter un individu, mais qu’il devient le vecteur d’une émotion, d’une mémoire collective, d’une douleur ou d’un désir que chacun peut reconnaître en soi.
C’est précisément ce que j’ai cherché dans ma série Émotions. Les visages et les corps photographiés ne sont pas seulement “eux” : ils deviennent des archétypes humains, des miroirs dans lesquels le spectateur peut retrouver ses propres fragilités et ses propres forces.
Un exemple d’approche est ma série émotions que vous pouvez trouver sur mon site photo : https://www.pascalyennis.com/projets-et-activites/rencontres-et-emotions
Photographier une belle lumière peut suffire à nourrir l’œil. Mais la photographie fine art va plus loin : elle cherche à nourrir l’âme. Elle naît d’un besoin intérieur. Celui de traduire une expérience vécue, de mettre en forme une émotion, de transformer une cicatrice en symbole. Elle est souvent intime, parfois douloureuse, toujours sincère. Dans mon parcours, ou du à mon parcours, et la magie des rencontres, cette quête a pris la forme d’un travail sur la résilience. Comment transformer la peine en beauté ? Comment donner une dignité nouvelle aux moments fragiles ? A quel point la femme, si fragile, est forte et puissante ? Chaque séance est devenue une rencontre, un dialogue silencieux où nous cherchons ensemble à raconter, parfois des choses indicibles.
Les critères du fine art
Peut-on identifier ce qui distingue une photographie fine art d’une “simple belle image” ?
Certains points reviennent régulièrement :
L’intention : l’image est pensée comme une œuvre, pas comme une illustration.
La cohérence : elle s’inscrit dans une série, un projet narratif ou symbolique.
L’unicité : elle existe en tirage limité, signé, assumé comme œuvre d’art.
L’émotion : elle cherche à susciter une résonance intérieure chez celui qui la regarde.
Ces critères ne sont pas des règles figées, mais des balises. Ils aident à comprendre pourquoi certaines images nous marquent profondément alors que d’autres glissent sur nous comme de simples instantanés.
Les procédés anciens, une autre voie vers le fine art
Mon chemin m’a aussi conduit vers les procédés anciens : cyanotype, salt print, et bientot le platine/palladium j’espère. Ces techniques, lentes et imparfaites, me renforcent dans cette opinion que l’art ne naît pas de la perfection ultime (chose que l’IA fait déjà bien mieux que nous par ailleurs), mais de la fragilité, de ces petites erreurs qui rendent le tout, beau. Et je ne peux m’empêcher de repenser à mes lectures de jeunesse … On tuera tous les affreux de Boris Vian, les chansons de Gainsbourg et le charisme de ce bonhomme presque plus moche que moi encore.
Enduire un papier à la main, attendre le séchage, exposer sous UV, découvrir peu à peu l’image qui se révèle… tout cela inscrit la photographie dans une temporalité différente. Chaque tirage est unique, porteur d’une part d’accident et donc d’humanité. C’est une autre manière d’affirmer que la photographie fine art n’est pas seulement une image : c’est un objet, une trace matérielle, une expérience sensible, tangible.
Être photographe-artiste aujourd’hui
À l’heure où des milliards d’images circulent chaque jour, où l’IA génère en un clic des visuels plus “parfaits” que nature, faut-il encore parler de fine art ?
Je crois que oui. Plus que jamais.
Parce que le fine art oppose à la vitesse le temps, long, la patience. S’exposer aux échecs, essais, persistances, encore et encore..
Parce qu’il oppose à la consommation immédiate la résonance durable.
Parce qu’il oppose à l’uniformité générée la singularité incarnée. Il est beau, rare, unique, empli d’émotions. Comme une rencontre humaine.
Créer depuis Éghezée, dans la région de Namur, loin des grandes capitales culturelles, n’est pas un obstacle. C’est une chance : celle de ne pas être happé par les modes, happé par le monde, et de puiser au contraire dans une forme de solitude, la quiétude hors des villes, hors des foules.
FAQ – Photographie fine art
Qu’est-ce que la photographie fine art ?
C’est l’usage de la photographie comme un médium artistique, dont l’objectif est de transmettre une vision personnelle ou une émotion universelle.
Quelle est la différence entre photo fine art et portrait classique ?
Le portrait classique représente une personne ; le fine art cherche à transcender l’individu pour toucher l’universel.
Un cyanotype est-il une photo fine art ?
Il peut l’être, s’il est pensé comme une œuvre artistique et pas seulement comme une expérimentation technique.
Pourquoi les tirages limités sont-ils importants en fine art ?
Parce qu’ils affirment la valeur d’œuvre d’art de la photographie, en opposition à la simple reproduction industrielle.
Conclusion
Être photographe fine art, ce n’est pas seulement produire de belles images. C’est accepter de plonger en soi pour chercher ce qui fait sens, puis de tendre cette vérité aux autres, dans l’espoir qu’elle trouve écho.
La photographie fine art est une quête, une manière de donner une voix aux silences, de rendre visible ce qui est fragile, de transformer l’éphémère en trace durable.
C’est pour cela que mes séries ne sont pas des portraits au sens traditionnel. Elles sont des fragments d’âme, des éclats d’humanité, des tentatives de répondre à cette question qui continue de m’accompagner : Suis-je un photographe, ou un artiste ?